- Sculpteur, graveur, dessinateur, photographe
- 1840 – 1917
- Français
Auguste Rodin
Auguste Rodin (René François Auguste Rodin) naît dans une famille sans problèmes financiers sans être bourgeoise, le 12 novembre 1840 au no 3, rue de l’Arbalète, dans le 5e arrondissement de Paris. Son père, Jean-Baptiste, né à Yvetot en 1803, s’est installé à Paris en 1830 comme garçon de bureau à la préfecture de police. Sa mère, Marie Cheffer (1807-1871) est la fille d’un tisserand lorrain en activité à Landroff, qui s’installe en 1832 à Paris, où Marie épouse Jean-Baptiste en 1836. Auguste a une sœur aînée, Maria Louise (1837-1862) et une sœur benjamine, Anna Olympe (1844-1848). Du premier mariage de son père en 1829 avec Gabrielle Cateneau (1809-1836), il a une demi-sœur, Clothilde (née en 1832), dont on ne sait rien après le second mariage de Jean-Baptiste en 1836.
Ses parents forment un ménage uni où apparaissent les solides vertus d’une éducation provinciale et religieuse qu’ils transmettent à leurs enfants, surtout de la part de la mère, femme au foyer. Après l’école primaire des frères de la doctrine chrétienne entre 1848 et 1849, il est envoyé à Beauvaisde 1851 à 1853 dans la pension que tient son oncle Jean-Hyppolite Rodin (1802-1855) où il s’ennuie, mais où il découvre la cathédrale et l’art gothique.
Formation
En partie à cause de sa forte myopie non détectée, il mène des études médiocres, et il gardera longtemps le handicap d’une faible maîtrise du français. Étant donné qu’il préfère griffonner des dessins sur ses cahiers, ses parents l’inscrivent gratuitement en 1854, à 14 ans, à l’École spéciale de dessin et de mathématiques à Paris, dite la Petite École (devenue École nationale supérieure des arts décoratifs), où il suit les cours du talentueux Horace Lecoq de Boisbaudran, dont la méthode consiste à préserver la sensibilité de chaque élève en lui enseignant à utiliser sa vue et sa mémoire visuelle, et du peintre Belloc. C’est là qu’il fait la connaissance d’Alphonse Legros.
Sa vocation se révèle lorsqu’il pousse la porte d’une salle de cours où les élèves sont en train de pétrir la glaise. En 1855, il découvre la sculpture avec Antoine-Louis Barye, puis Albert-Ernest Carrier-Belleuse. Il se rend alors régulièrement au musée du Louvre pour dessiner d’après l’antique, au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale, et au cours de dessin de la Manufacture des Gobelins, où il travaille le nu. En 1857, il quitte la Petite École et, fort d’un talent reconnu par ses professeurs, suivant l’avis du sculpteur Hippolyte Maindron, il tente le concours d’entrée à l’École des beaux-arts, dont il réussira l’épreuve de dessin, mais il échouera trois fois de suite à celle de la sculpture, son manque de culture humaniste lui faisant préjudice et son style n’étant pas conforme aux traditions néo-classiques qui y régnaient. Il est alors contraint de travailler pour se nourrir et s’engage comme artisan-praticien dans des ateliers de divers sculpteurs, staffeurs ornemanistes et décorateurs, tels que Garnier, Blanche ou Michel-Victor Cruchet. C’est chez l’un d’eux que débute son amitié avec Jules Dalou.
L’activité de cette époque est particulièrement stimulée par les travaux d’urbanisme du préfet de Paris, le baron Haussmann, comme par le développement du goût de l’époque pour l’ornementation. Le 8 décembre 1862, fortement touché par le décès de sa sœur Maria, Rodin traverse une crise mystique et entre au noviciat de la Congrégation du Très-Saint Sacrement. Se rendant compte que le frère Augustin est peu doué pour la vie monastique, le Père Eymard— dont il a eu le temps de faire le buste — le convainc de poursuivre dans la voie artistique. Rodin quitte ainsi la congrégation en mai 1863.
Collaboration avec Carrier-Belleuse et Van Rasbourgh
Rose Beuret : la compagne d’une vie
En 1864, il rencontre Rose Beuret, fille d’un cultivateur de Haute-Marne. Cette ouvrière couturière, âgée de 20 ans, lui servira de modèle et deviendra sa compagne. Il l’épouse le 29 janvier 1917, à la fin de leur vie, récompense pour cette femme discrète, dévouée et fidèle alors qu’il eut de nombreuses liaisons (Camille Claudel, Gwen John, la duchesse de Choiseul, de 1907 à 1912). En 1866, il aura d’elle un fils, Auguste Eugène Beuret (1866-1934), qu’il ne reconnaîtra jamais. Rose fut plusieurs fois le modèle de Rodin, témoignant de son évolution stylistique, de Jeune fille au chapeau fleuri en 1865, encore influencé par Carrier-Belleuse, en passant par Mignon en 1869, puis Bellone, exécutée en 1878 après son retour de Belgique.
L’Homme au nez cassé
Son Homme au nez cassé est refusé au Salon de Paris de 1865, mais le marbre sera finalement exposé en 1875. C’est dans la période de 1865-1870 qu’il débute sa collaboration avec Albert-Ernest Carrier-Belleuse, sculpteur renommé du Second Empire, formé lui aussi à la Petite École. Carrier-Belleuse porte la sculpture vers la production en série, stimulé par la forte demande de la haute bourgeoisie de l’époque. Rodin travailla dans l’atelier de Carrier-Belleuse, qui produisit de nombreuses ornementations de qualité pour les décors architecturaux de grands chantiers à Paris, tels que l’Opéra Garnier, l’hôtel de la Païva sur les Champs-Élysées, ou le théâtre des Gobelins.
En Belgique
En 1870, Rodin accompagne le sculpteur belge Antoine-Joseph Van Rasbourgh à Bruxelles, où il participe aux travaux de décoration de la Bourse du Commerce. Il est mobilisé comme caporal dans la Garde nationale au moment de la guerre franco-prussienne de 1870, puis réformé pour myopie. En mars 1871, il retourne alors en Belgique avec Carrier-Belleuse, avec lequel il collaborera jusqu’en 1872. Il réalise deux sculptures colossales, L’Asie et L’Afrique, et des cariatides. Il s’associe par contrat à Van Rasbourgh entre 1871 et 1876, avec lequel il participe entre autres au décor du palais des Académies à Bruxelles. Il collabore aussi avec Jules Pecher à la réalisation du Monument à Jean François Loos à Anvers (1876), aujourd’hui démonté. À cette époque, Rodin vit en couple avec Rose Beuret, qu’il peint en Fleur des champs. C’est également à cette époque qu’il met au point sa démarche de présenter trois fois la même sculpture dans des expositions différentes en trois techniques différentes : terre cuite, plâtre et marbre.
Voyage en Italie et étude de Michel-Ange
En 1875, il réalise un de ses grands rêves en faisant son Grand Tour. Il voyage en Italie pour découvrir les trésors artistiques de Turin, Gênes, Pise, Venise, Florence, Rome, Naples, « découvrir les secrets » de Donatello, et surtout, de Michel-Ange dont « les allusions et emprunts à son art sont perceptibles dans son œuvre aussi bien dans les attitudes des corps sculptés que dans le travail du marbre, jouant du contraste entre les surfaces polies et celles à peine dégrossies », en usant de la technique et de l’esthétique du non finito. À son retour en France, il visite les cathédrales françaises. En 1876, il expose pour la première fois aux États-Unis à l’Exposition internationale et universelle de Philadelphie.
Première grande œuvre et succès
En 1877, âgé de 37 ans, de retour à Paris, il réalise sa première grande œuvre, L’Âge d’airain, la statue en grandeur nature en plâtre d’un jeune homme, qu’il expose au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles et au Salon des artistes français de Paris. Sa statue donne une telle impression de vie qu’on l’accuse d’avoir effectué un moulage sur le vif. Ce succès retentissant au parfum de scandale amorce sa fortune et ses quarante ans de carrière. Les commandes officielles abondent et Rodin devient un portraitiste de la haute société.
En 1878, Rodin crée son Saint Jean Baptiste, plus grand que nature pour prouver définitivement qu’il n’a pas recours au moulage sur nature. Rodin influence alors la sculpture par l’expressivité des formes, des sentiments, de la sensualité et du soin apporté à restituer l’émotion, par l’expression donnée à des parties du corps comme les mains, les pieds, etc. Il participe à l’invention d’un style en développant de nouvelles techniques de sculpture comme l’assemblage, la démultiplication, ou la fragmentation, en totale rupture avec l’académisme d’alors. En 1879, il participe à un concours pour l’érection d’un monument commémoratif de la guerre de 1870 à Courbevoie, mais voit son projet pour La Défense de Paris rejeté ; ses amitiés avec des communards auront pu également influencer le jury. Il intègre la Manufacture nationale de Sèvres de porcelaine, jusqu’en décembre 1882. À cette époque, il noue une relation passionnelle et tumultueuse avec la sculptrice Camille Claudel, de vingt-quatre ans sa cadette.
En 1880, l’État achète sa sculpture L’Âge d’airain et lui octroie un atelier au Dépôt des marbres au no 182, rue de l’Université, dans le 7e arrondissement de Paris (un lieu de travail qu’il gardera toute sa vie). L’État lui commande La Porte de l’enfer, inspirée par la Divine Comédie de Dante Alighieri, et une transposition des Fleurs du mal de Charles Baudelaire, pour le futur musée des arts décoratifs du palais du Louvre, son œuvre la plus monumentale de 7 m de haut et 8 tonnes, qui ne sera ni livrée ni fondue en bronze de son vivant, et à laquelle il travaillera seul jusqu’à la fin de ses jours. L’œuvre sera fondue en bronze en 1926 (Paris, musée Rodin).
En 1881, l’État achète sa sculpture Saint Jean Baptiste. Il part en voyage en Angleterre où il apprend la gravure à Londres avec Alphonse Legros, un ancien condisciple de la Petite École. À son retour en France, il réalise notamment les figures sculptées d’Adam, d’Ève et Le Penseur en 1882. En 1883, il réalise le Buste de Victor Hugo. Son père meurt cette année-là.
Camille Claudel : la passion
En 1882, Rodin remplace Alfred Boucher comme professeur d’un groupe de jeunes sculptrices, dont Camille Claudel. Il remarque les dons de celle-ci, qui a alors dix-neuf ans. En 1884, elle entre comme praticienne et sert de modèle pour Torse de femme et Mon frère pour Rodin. En 1885, elle est le modèle de L’Aurore. Dans son atelier, elle participera activement à la création du groupe des Bourgeois de Calais, commandé en 1885 par la municipalité de Calais, à la mémoire d’Eustache de Saint Pierre, dont la légende veut qu’elle ait modelé les mains de Pierre de Wissant, alors que Jessie Lipscomb fut chargée de la robe. Rodin et Camille Claudel vont entretenir une relation artistique et amoureuse passionnée et tumultueuse, devenue légendaire, qui durera de dix à quinze ans, connue de tous à l’époque.
En 1884, il réalise la sculpture L’Éternel Printemps, probablement inspirée de cette passion pour Camille Claudel, tout comme L’Adieu en 1892, où Rodin assemble un portrait de Camille Claudel et les mains de Pierre de Wissant, dont il confie la pratique du marbre à Jean-Marie Mengue, et celle de La Convalescente à Émile Matruchot en 1902. En dépit d’une promesse faite par lettre, Rodin refusera les demandes de mariage de Camille Claudel – lui qui ne se mariera avec Rose que lorsqu’elle sera mourante – ; Claudel finira par s’éloigner pour développer son art seule.
Rodin aurait eu plusieurs enfants avec elle, sans doute deux, qu’il n’a pas reconnus.
Consécration
En 1887, il est fait Chevalier de la Légion d’honneur et illustre de dessins l’édition des Fleurs du mal de Baudelaire, éditée par Paul Gallimard. L’État français lui commande Le Baiser, en marbre pour l’Exposition universelle de Paris de 1889. Rodin choisit Jean Turcan comme praticien. Le Baiser sera réalisé directement en marbre d’après sa maquette en terre cuite. En 1889, Auguste Rodin est un des membres fondateurs de la Société nationale des Beaux-arts et reçoit la commande du monument à Victor Hugo, pour le Panthéon de Paris (assis, puis debout). Il expose avec Claude Monet à la galerie Georges Petit.
En 1891, la Société des gens de lettres lui passe commande d’un monument pour Honoré de Balzac. Il est promu officier de la Légion d’honneur, en 1892, et succède à Jules Dalou au poste de président de la section sculpture et vice-président de la Société nationale des beaux-arts.
Installation à Meudon
En 1893, il s’installe avec Rose à Meudon, no 8, chemin Scribe, dans la Maison des Chiens-Loups. Henri Lebossé présente à Rodin un système mécanique d’agrandissement ou de réduction des sculptures qui lui permet de produire en série ses sculptures à différentes échelles. Antoine-Emile Bourdelle, jeune sculpteur, devient son praticien. Claude Monet l’invite chez lui, en 1894, à Giverny en Normandie, où il rencontre Paul Cézanne et Clemenceau.
En 1895, il achète la villa des Brillants, à Meudon, qui devient son atelier avec ses assistants, ouvriers et praticiens, et où il commence à constituer sa collection d’antiques et de peintures. Le monument aux Bourgeois de Calais en bronze est inauguré à Calais. En 1896, le musée Rath en Suisse présente pour la première fois ses photographies accompagnant ses sculptures, et des œuvres de Pierre Puvis de Chavannes et d’Eugène Carrière. En 1897, par la publication de l’Album Goupil (du nom de l’éditeur-imprimeur) contenant 142 dessins, il divulgue ses techniques de travail novatrices. Il présente son Monument à Victor Hugo au Salon de la Société nationale des beaux-arts. En 1898, la Société des gens de lettres refuse sa statue de Balzac présentée au Salon de la Société nationale des beaux-arts. De 1898 à 1905, il entretient une liaison avec Sophie Postolska (1868-1942), une de ses élèves, jeune aristocrate polonaise. En 1899, il obtient la commande du Monument à Puvis de Chavannes. La grande Ève est présentée au Salon de la Société nationale des beaux-arts. Il tient ses premières expositions personnelles à Bruxelles, Amsterdam, Rotterdam, La Haye.
Le Pavillon de l’Alma
En 1900, Rodin a 60 ans. À ses frais il organise une rétrospective dite « de l’Alma » de son œuvre dans un pavillon sur la place de l’Alma en marge de l’Exposition universelle de Paris, ce qui lui vaut une consécration internationale. Il est nommé chevalier de l’ordre de Léopold de Belgique. Cette même année, il fait la connaissance de Hélène von Beneckendorff und Hindenburg, nièce du futur maréchal et président du Reich, Paul von Hindenburg, qui épousera, en 1904, Alfred von Nostitz. Rodin se rend en Italie avec elle, reprenant ainsi contact avec les chefs-d’œuvre sculptés de Pise, Lucques, Florence et Rome. Le portrait d’Hélène von Beneckendorff qu’il exécute en marbre sera envoyé à Berlin et à Vienne, où il sera admiré et loué par les artistes du mouvement de la Sécession.
À la clôture de l’exposition, en 1901, le pavillon est démonté et transféré dans sa propriété de Meudon (la villa des Brillants) et devient son atelier. En 1902, le jeune poète autrichien Rainer Maria Rilke le rencontre, écrit un essai Sur Rodin et devient son secrétaire, de 1905 à 1906. En 1903, il est fait commandeur de la Légion d’honneur. En 1904, Rodin devient l’amant de la peintre et femme de lettres britannique, Gwendolen Mary John (sœur du peintre Auguste John), qui lui servira de modèle pour la Muse Whistler et Iris, puis il rencontre la duchesse de Choiseul (née Claire Coudert, issue d’une très riche famille américaine), dont il devient l’amant jusqu’en 1912. Claire de Choiseul le mettra en contact avec de nombreux Américains fortunés et aura une certaine influence sur lui.
Le Penseur, version en plâtre, est présenté à Londres puis en bronze à Paris. En 1906, Le Penseur est placé devant le Panthéon de Paris. À l’occasion de l’Exposition coloniale de Marseille, Rodin exécute une série d’aquarelles d’après les danseuses cambodgiennes. Il réalise le Masque de Hanako, un portrait de l’actrice japonaise Hanako. L’exposition de ses dessins en Allemagne à Weimar crée le scandale. En 1907, à Paris, la galerie Bernheim organise une exposition de ses dessins. La sculpture L’Homme qui marche est présente au Salon. Marcelle Tirel devient son dernier secrétaire.
Dans son atelier, il reçoit les visites de nombreux artistes et célébrités (le roi d’Angleterre Edouard VII lui rendra visite le 6 mars 1908).
L’hôtel Biron
Rodin s’installe en 1908 à l’hôtel Biron que Rilke lui a fait découvrir, où il rencontre Vaslav Nijinsky et Henri Matisse, entre autres. Rodin voyage en Espagne avec Rilke et le peintre basque Ignacio Zuloaga, son ami. Ses dessins sont exposés par la galerie du photographe pictorialiste Alfred Stieglitz. Il est nommé grand officier de la Légion d’honneur en 1910. En 1911, l’État lui commande un buste de Pierre Puvis de Chavannes pour le Panthéon de Paris et l’Angleterre acquiert Les Bourgeois de Calais, pour les jardins du palais de Westminster de Londres (Parlement du Royaume-Uni). L’homme qui marche est installé au palais Farnèse (ambassade de France à Rome). La salle Rodin du Metropolitan Museum de New York est inaugurée en 1912. Cette même année a lieu une exposition Rodin à Tokyo.
En 1914, il voyage à nouveau en Angleterre avec Rose Beuret. En 1915, il commence le buste du pape Benoît XV, lors d’un voyage à Rome, au cours duquel il croise Albert Besnard (qui doit également honorer la commande d’un portrait du pape), mais en désaccord avec le souverain pontife sur les temps de pose, Rodin part sans achever l’œuvre. Il publie Les Cathédrales de France, ouvrage reproduisant 100 dessins en fac-similé. Sa santé se dégrade. La sculptrice Jeanne Bardey devient une intime.
Il est victime d’une nouvelle attaque fin mars 1916, suivie d’une congestion cérébrale en juillet. Il fait en septembre trois donations successives de son hôtel particulier, de son atelier et de ses collections d’art à l’État, dans la perspective de la création d’un musée Rodin. La Chambre des députés et le Sénat votent l’établissement du musée Rodin à l’hôtel Biron, aboutissement de la démarche de Judith Cladel, future biographe du sculpteur. Il reçoit une commande pour un monument à la mémoire des combattants de Verdun.
« Et c’est la fin dérisoire et solitaire des deux vieillards dans la maison mal chauffée » (en pleine guerre de 1914-1918, il n’y a plus de charbon) que représente la photographie d’A. de Combettes, publiée dans L’Illustration, montrant à cette époque un Rodin, debout et massif, dans le parc de la villa, tenant la main de sa vieille compagne au regard perdu.
La dernière année
Le 29 janvier 1917, âgé de 77 ans, alors que les facultés mentales du sculpteur sont altérées, et « poussé par Loïe Fuller », il épouse Rose Beuret à Meudon, après cinquante-trois ans de vie commune. Elle est très affaiblie et meurt d’une pneumonie le 14 février 1917, à 73 ans, suivie le 17 novembre par Rodin, qui est inhumé à ses côtés à Meudon, le 24 novembre. Leur sépulture est surplombée par Le Penseur.
Le musée Rodin, au no 79 rue de Varenne, dans le 7e arrondissement de Paris, est inauguré le 4 août 1919. La villa des Brillants à Meudon, au no 19, avenue Auguste-Rodin, deviendra également un musée en son honneur.
Œuvre
L’œuvre d’Auguste Rodin se compose d’environ 7 000 sculptures, 10 000 dessins, 1 000 gravures et 10 000 photographies. Pour les sculptures, les techniques utilisées sont le modelage en argile, le plâtre direct, le bronze, la pâte de verre, la céramique et le marbre. Son sujet principal est le corps humain masculin ou féminin, dont le portrait. Face à l’ampleur de son œuvre, en nombre et par son imagination, face à la réception universelle de son œuvre, on ne peut seulement commenter qu’une part de celle-ci.
Les sculptures
Les sculptures de Rodin sont présentées dans des techniques très variées, plâtre, bronze, marbre mais aussi céramique, pâte de verre. Grâce à l’invention de Henri Lebossé, qui devient un de ses praticiens les plus importants, il peut augmenter ou réduire la taille de ses sculptures à volonté. Cela lui permet de faire des œuvres originales à une taille donnée d’une part, et de faire une suite de reproductions à petite échelle et à petit prix d’autre part, ce que Rodin appelait « ses bibelots ».
Les portraits
Rodin a réalisé de très nombreux portraits, modelé d’après le modèle partir de 1863 avec le Buste du père Eymard, D’Alembert (1880), Carrier-Belleuse (1882), Jules Dalou (1883), Roger-Marx (1899), Gustave Mahler (1909), Clemenceau (1911-1912) et Lady Sackville-West (1914-1916).
L’Âge d’airain
L’œuvre de 1877, qui a rendu célèbre Rodin, est tellement réaliste que Rodin a été suspecté de moulage sur nature. Plusieurs années ont été nécessaires pour qu’il soit totalement disculpé, en présentant le modèle.
Le Penseur
Il a révolutionné la sculpture par une liberté de forme inconnue jusque-là. Il sculpte un danseur (Mouvement de danse H) sans tête, et dont les membres forment des lignes s’élançant vers le haut, exprimant ainsi l’oubli de soi et la libération du corps dans la danse. Son célèbre Penseur est tout en déséquilibre, composé de cinq triangles dans un arrangement précaire, exprimant ainsi la nature du cours de la pensée et son lien au corps.
Le Baiser
Revisitant le maniérisme tout en l’associant à un travail de la matière, il exprime avec des sculptures, comme Le Baiser, une sensualité qui choque parfois le public de l’époque. Contrairement aux traditions académiques, ses sculptures sont souvent sans socle ou sur un socle surélevé. On reconnaît souvent ses œuvres à une forme achevée, qui reste partiellement prise dans un bloc plus rustique et partiellement dégrossi, ce qui est directement inspiré du non finito de Michel-Ange. Le résultat toujours frappant est un équilibre entre un modèle englué dans la masse brute et un élan donné à l’œuvre qui semble ainsi prête à s’en échapper.
Rodin, à l’avant-garde de son art, a laissé les moules de ses sculptures à la disposition de l’établissement public, son musée, pour que celui-ci, garant de son droit de reproduction et de son droit moral, puisse continuer à défendre son œuvre. Il avait aussi préparé des copies de sa signature. Une manière pour lui de laisser d’autres prolonger son œuvre après son décès.
Monument à Balzac
Commandée à la fin du XIXe siècle par la Société des gens de lettres, la statue pour le Monument à Balzac, à la fois majestueuse et fantomatique, donna lieu à une vive polémique. Elle fit scandale pour son apparence et sa préparation interminable, et la Société des gens de lettres, commanditaire de l’œuvre, la refusa. Ils demandèrent aussitôt un autre monument à Alexandre Falguière et la statue de Rodin ne fut exposée que longtemps après sa première présentation. On lui reprochait de n’avoir conservé de Balzac que l’aspect « moribond ». Émile Zola, grand admirateur de Balzac et de Rodin, fut un ardent défenseur de cette œuvre. On peut en voir aujourd’hui des exemplaires à Paris, dans le jardin du musée Rodin, rue de Varenne, ainsi que sur un des quais de la station de métro Varenne de la ligne 13 du métro.
Rodin utilisa des photographies d’un conducteur de voitures à cheval de Tours et un modèle italien nommé Nardone, qui posa bien plus tard, alors octogénaire, pour Germaine Richier, en 1947.
Rodin fit porter la sculpture « debout comme un menhir à masque humain » (selon Bernard Champigneulle) dans sa villa de Meudon et c’est là que le photographe américain Edward Steichen en découvrira la beauté et fera naître un mouvement d’opinion pour lui rendre sa juste place dans le monde de l’art.
Le modèle en plâtre et des maquettes parurent, entre autres, en 1908 lors de l’inauguration du musée de la maison de Balzac, rue Berton à Paris. Georges Clemenceau aurait usé de son influence pour l’imposer à Paris et, en 1926, Georges Grappe, conservateur du musée Rodin, en fit fondre deux épreuves en bronze, mais ce n’est que le 1er juillet 1939 qu’un exemplaire en bronze, érigé à l’angle du boulevard Raspail et du boulevard du Montparnasse, fut dévoilé par deux de ses familiers, Maillol et Despiau.
Rodin écrivait en 1908 : « Cette œuvre dont on a ri, qu’on a pris soin de bafouer parce qu’on ne pouvait pas la détruire, est la résultante de toute ma vie, le pivot de mon esthétique. »
Les Bourgeois de Calais
Les Bourgeois de Calais est un groupe statuaire commandé par la Ville de Calais où a été inauguré le premier exemplaire en bronze en 1895. C’est une des œuvres les plus célèbres de Rodin. De manière définitive, il existe ainsi douze éditions originales en bronze des Bourgeois de Calais.
Cette œuvre représente six personnages (Eustache de Saint Pierre, Jacques et Pierre de Wissant, Jean de Fiennes, Andrieu d’Andres et Jean d’Aire), victimes d’un rituel de reddition imposé par le roi d’Angleterre Édouard III en août 1347. Elle symbolise le sacrifice de ces six hommes pour laisser la vie sauve à l’ensemble des habitants de la ville sur le point d’être conquise par les Anglais. Rodin participe à l’entreprise de mythification de cet épisode historique, faisant d’un banal rituel de capitulation, d’amende honorable et d’humiliation tel qu’il était alors couramment pratiqué au Moyen Âge après un siège, un acte d’héroïsme de bourgeois sauvant la ville de la destruction.
Rodin représente sur un socle rectangulaire de hauteur moyenne (seule concession du sculpteur au comité d’érection souhaitant un piédestal triomphal) les six personnages les uns à côté des autres, pieds nus, en chemise (telle une tunique du martyr) et corde au cou. Le groupe statuaire en bronze pèse 1 814 kg9. Le sculpteur a opté pour une structure cubique, et non pyramidale — comme il est d’usage pour les monuments aux morts — et organise ses figures en une « lente procession vers la mort », en spirale. Le groupe statuaire s’attache, à travers les attitudes du corps et les expressions des visages, à retranscrire les états émotionnels et psychologiques de chacun des protagonistes, offrant une vision pathétique et humaine d’une absolue nouveauté : Eustache de Saint Pierre est représenté en noble vieillard avec la barbe et la moustache, qui porte sur ses épaules toute la souffrance des hommes ; Jacques de Wissant, voûté, s’avance résolument, cherchant à chasser de ses yeux l’image d’un cauchemar ; Pierre de Wissant, le corps et le visage encore tournés vers l’arrière, esquisse le premier pas vers le sacrifice et a le bras levé, proclamant toute la vanité du monde ; Andrieu d’Andres la tête dans ses mains, semble livré au désespoir ; Jean d’Aire, âpre et fier, la tête haute, les mains crispées serrant les clefs de la ville, défiant la mort dans un suprême effort de volonté ; Jean de Fiennes le plus jeune, le torse découvert et les bras ouverts, semble transfiguré par la conscience du sacrifice consenti.
La Porte de l’Enfer
Commencée en 1880, jamais achevée, toujours reprise, La Porte de l’Enfer est la synthèse de l’art de Rodin. Il y combine toutes ses sculptures assemblées en une porte monumentale.
C’est une sorte de compilation de nombreuses œuvres. Rodin est blessé et meurtri qu’on ait pu le suspecter de moulage pour L’Âge d’airain. Même disculpé, il en aura toujours un ressentiment. La Porte de l’Enfer, dont son chantre, Octave Mirbeau, nous a laissé, en février 1885, la seule description complète, sera une sorte d’exutoire où il veut montrer qu’il est capable de reproduire ses œuvres en miniature, dans tous leurs détails et par là même, que les grandes réalisations sont authentiquement faites de sa main. La Porte de l’Enfer est une sorte de point d’orgue de l’ensemble de son œuvre. « Elle restera très vraisemblablement inachevée », notait Gustave Coquiot, l’un de ses secrétaires, dans Le Vrai Rodin (1913).
En 1957-1958, le photographe Carol-Marc Lavrillier photographie pendant un an, juché sur des échafaudages, La Porte de l’enfer, dans les moindres détails, en s’attachant à comprendre l’œuvre et le désir de l’artiste. Ces photographies, qui sont conservées à Paris dans les collections du musée national d’art moderne, ont fait l’objet de nombreuses expositions.
La Tentation de saint Antoine
La Tentation de saint Antoine est une statue en ronde-bosse. Elle est inspirée de la nouvelle La Tentation de saint Antoine, publiée par Gustave Flaubert et pour laquelle Rodin avait une grande admiration. Elle représente une femme nue, allongée sur le dos d’un moine prostré au sol.
Les assemblages
Rodin travaille également par une suite de fragmentations et d’assemblages, reprenant des éléments de sculptures variées, mais également d’objets qu’il assemble en de nouvelles sculptures par collage.
Le Monument à Puvis de Chavannes est un exemple d’assemblage avec un moulage de colonne sur lequel est posé un buste du peintre auquel est associé un moulage de tronc d’arbre.
Études de main
Rodin réalise de très nombreuses études de main qui donnent naissance à des marbres très fameux, comme La Cathédrale, Mains jointes, La Main de Dieu, ou La Création.
Médaillons de tombe
Il a réalisé plusieurs médaillon de tombes, comme celui de César Franck au cimetière du Montparnasse, celui de Stendhal au cimetière de Montmartre ou encore celui de Jehan de Bouteiller au cimetière de Passy (Paris).
Le dessin
Quand Rodin ne sculpte pas, il dessine. « C’est bien simple, mes dessins sont la clef de mon œuvre, ma sculpture n’est que du dessin sous toutes les dimensions », écrit-il dans ses carnets. Au-delà du simple travail préparatoire, le dessin est pour Rodin une autre pratique, un autre champ de réflexion artistique qu’il découvre avant même la sculpture, à l’âge de dix ans. Inventeur du premier jet, Rodin prend l’habitude de laisser le modèle évoluer devant lui sans lui indiquer de pose artificielle, pour capter ainsi sur la feuille le naturel des mouvements.
Rodin s’est lié avec de nombreux artistes, comme le peintre Ignacio Zuloaga, la danseuse Loïe Fuller, le peintre américain Whistler, le peintre Alphonse Legros, Albert Besnard (avec lequel il échangera une correspondance et qui fera de lui un portrait à l’eau-forte), etc.
La gravure
Rodin pratique la gravure qui lui permet de diffuser ses dessins et ses sculptures. Ces gravures sont réunies en album. Il illustre ainsi Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Il a produit environ 1 000 gravures. Auguste-Hilaire Léveillé fait partie des graveurs qui ont reproduit un certain nombre de ses statues.
Henri BERALDI, dans son catalogue raisonné des graveurs du XIXe siècle (11e tome – 1891) cite 4 œuvres (points-sèches extrêmement remarquables) :
– Victor HUGO, masque de trois quarts, in-8
– Victor HUGO, masque de face, in-8
– Antonin PROUST, in-8
– Henri BECQUE, in-8
La photographie
Rodin pratique la photographie et en use abondamment. Il a une équipe de photographes, tels que Gaudanzio Marconi, Karl Bodmer, Victor Pannelier et Freuler qui photographient les modèles, les sculptures finalisées ou en cours de travail. Ces photographies servent d’ébauches, mais aussi pour des corrections, Rodin soulignant ou retouchant telle ou telle partie au crayon, à la plume, au pinceau ou au lavis, sur les tirages photographiques de ses sculptures. Elles servent à dialoguer avec les praticiens comme on peut le lire dans la correspondance avec Bourdelle ou à corriger les tirages.
Elles sont aussi un moyen de communication étant donné que les photographies de ses œuvres sont exposées de son vivant ou publiés dans des albums.
De plus, Rodin collectionne aussi la photographie avec un fonds documentaire de près de 7 000 clichés. Il était également intéressé par le regard de photographes pictorialistes comme Edward Steichen, Alvin Langdon Coburn, Gertrude Käsebier, Stephen Haweis ou Henry Coles qui figurent dans sa collection. Au total, le musée Rodin conserve environ 11 000 photographies dans son fonds.
Les écrits sur l’art
Rodin, sans doute aidé par son secrétaire, l’écrivain et poète autrichien Rainer Maria Rilke, a participé à plusieurs textes de théorie de l’art dont L’Art (1911), des entretiens recueillis par Paul Gsell.
Source : Wikipédia
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