• Atelier céramique
  • 1940- 1997
  • Français

Madoura

Madoura est le nom d’un célèbre atelier céramique de Vallauris.
Il s’agit d’un acronyme composé des premières syllabes des mots maison, Douly et Ramié. Douly étant le nom de naissance de Suzanne Ramié, sa fondatrice et propriétaire.

Suzanne Douly est née à Lyon, le 13 janvier 1905, elle se forme à l’école des Beaux-Arts de Lyon entre 1922 et 1926 où elle fréquente les ateliers de céramique et de décoration. Elle y noue d’abord contact avec la céramique comme seul support d’un décor peint. Remarquée, lauréate de divers prix dès son cursus, elle décide d’entrer dans la maison de textile lyonnaise Gillet et Tahon comme dessinatrice.
 C’est en ce temps qu’elle fait la connaissance de Georges Ramié (1901-1976).
Ensemble ils décident de quitter Lyon et partent en 1936 s’installer sur la Côte d’Azur où Georges Ramié possède une propriété familiale qu’il envisage de transformer en domaine arboricole. Suzanne travaille alors dans l’agence de publicité d’Aimé Maeght à Cannes. Elle tourne à cette époque son regard vers Vallauris où exercent encore, malgré la crise du secteur, quelques ateliers de poterie utilitaire qui maintiennent en éveil un savoir-faire provençal.
Elle décide de se former aux techniques traditionnelles auprès de l’atelier de Jean-Baptiste Chiapello. Marquée par la mouvance de redécouverte des arts du quotidien qui connaît alors de beaux jours sous l’impulsion de Georges-Henri Rivière, Suzanne Ramié cherche à saisir la substance de la poterie vallaurienne.

En 1938, après leur mariage, Suzanne et Georges Ramié s’installent physiquement à Vallauris. Suzanne loue un espace à une vieille famille de potiers et s’adjoint l’aide un tourneur hors-pair : Jules Agard. Les époux font leurs armes en redécouvrant avidement le répertoire de formes tournées issues des traditions locales. Les pièces sont animées d’une vigueur toute personnelle qui s’abreuve à la source de l’imagerie populaire méditerranéenne.

L’atelier met au point une collection complète pour les arts de la table en réactivant certaines formes oubliées et en ravivant le répertoire provençal.
Elle ne cherche pas à copier les éléments du passé mais à réactiver -à rendre opérant- certains usages incarnés dans ces pièces. Le soleil du midi est un guide et une adresse à la vie bonne où le commensal – celui qui partage son repas – est une figure symbolique essentielle.

En 1940, les Ramié décident de se lancer et fondent enfin un atelier. Il tire son nom de leurs initiales respectives : Madoura (pour Maison Douly Ramié). Suzanne Ramié y convoque ainsi aussi bien des formes rurales que les pièces exceptionnelles de la création locale du XVIIe au XXe siècle.
Les pièces usuelles sont d’abord vernies à l’alquifoux en vert ou jaune : elle redonne vie à des services de table Louis XV, des épis de faîtage, des bourraches, et autres gourdes. Elle questionne la typologie de la poterie populaire et inventorie ses structures et ses techniques pour en redessiner les formes.
 Cette capacité à relire la tradition sous un regard neuf, fécond restera, tout au long de la vie de l’atelier, un fil d’Ariane.

La guerre vient les surprendre en plein succès naissant.
Les Ramié rentrent d’abord à Lyon et présentent leurs pièces au public citadin avec le même succès. La guerre -par-delà sa misère- est un terrain d’intensité, chaque acte dans son urgence porte le sceau du vrai. Suzanne et Georges réfléchissent et attendent, fébriles: ils décident de revenir à Vallauris où la vie suit un cours assez protégé.
En 1941, Suzanne expose dans le cadre de l’exposition Artistes et Artisans à Cannes et en 1942 elle est présente à l’Exposition des Arts et Traditions populaires de Nice où elle obtient une médaille d’or.

Le succès pressenti ne se dément pas et l’exemple qu’il forme encourage d’autres jeunes artistes à déserter le giron éculé des Beaux-Arts pour l’expression franche et vivante des Arts Décoratifs.
La guerre fait office de déclencheur : le sens d’une vie quotidienne y est questionné impérieusement. Les réponses sont vives comme l’élan qui portera dès la fin de la guerre les futurs grands noms de cet âge-d’or aujourd’hui célébré : André Baud, Roger Capron, Marcel Giraud, Robert Picault, René Maurel, Henri Grailhe, Ozère, Juliette Laurent-Mazaudois, Max Boissaud, Les Archanges (Gilbert Valentin), La poterie du Grand Chêne (Odette Gourju et Lubina Naumovitch), Jacques Innocenti, Juliette Derel, Les Argonautes (Isabelle Ferlay et Frédérique Bourguet), Eugène Fidler, Alexandre Kostanda, Gilbert Portanier, François Raty, Jean Derval, l’atelier du Tapis Vert, ou encore Sébastien.

Le mouvement n’est pas coordonné mais collectif. Suzanne et Georges Ramié font alors figures de pionniers de cette vague contestataire qui délaisse les grands centres urbains. Leur vie est prescrite pour interroger le quotidien et les complicités avec les composantes multiples du terroir.

Les tentatives de récupération réactionnaire des divers élans initiés de part le monde dès les années 1930 par des mouvements militants ont fait long feu. Si les diversités de monde trouvent parfois à s’arcbouter entre personnalistes chrétiens, existentialistes, et terreau autonome communiste, à certains égards ils partagent une envie et une force qui les rapprochent: c’est la recherche d’un faire vivant, couplé à un idéal de vie, qui pousse ainsi de nombreux artistes à la recherche de racines sur lesquelles grandir.

À la Libération, la vie de l’atelier Madoura s’épanouit dans ce temps fécond de l’après-guerre. Suzanne Ramié est de toutes les expositions vallauriennes et son travail trouve des échos dans les importantes galeries parisiennes : La Galerie Mai, La Roue ou La Hune. Les décorateurs se saisissent aussi de son travail qui nourrit leurs projets.

En 1946, Les Ramié participent à l’exposition Poteries, fleurs et parfums au Nérolium de Vallauris et c’est à cette occasion que Suzanne rencontre Pablo Picasso. La rencontre sera importante pour les deux protagonistes.
Picasso est aussi sensible aux questionnements sur l’art au quotidien. Il veut travailler la terre, accéder à la vérité que la matière expose… L’année suivante, les Ramié lui ouvrent les portes de l’atelier.
Jules Agard sera son soutien et le célèbre Pablo peut vivre au rythme de la céramique avec une voracité qui met presque en péril la vie matérielle de l’atelier. Pour y contrevenir, Picasso et les Ramié s’accordent sur le principe d’édition de pièces qui assure la pérennité de la structure et participe du rayonnement exceptionnel de Madoura. Le pari est néanmoins osé.
Par cohérence et volonté de s’affranchir, Suzanne Ramié abandonne à Picasso toutes formes Madoura sur lesquelles il jette son dévolu et, afin de ne pas entrer en concurrence avec lui, elle renonce au décor tracé pour se concentrer sur les jeux d’émaux en superposition.

Dans l’ombre lumineuse de Picasso, Suzanne va devoir redoubler d’attention pour conserver une existence d’artiste. Suzanne bat en brèche l’assertion de Brancusi selon laquelle « il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres ».
Aidée par la vivacité de Jean Derval qui travaille avec elle entre 1948 et 1951, elle ne se laisse pas vampiriser et met au point une manière Madoura qui permet la cohabitation avec ces grands artistes qu’elle accueille bien volontiers.
L’atelier Madoura ouvre ainsi la voie à un accueil véritable et au fil des ans, Marc Chagall, Henri Matisse, Georges Braque, Hans Arp, Victor Brauner, ou encore Sébastien, viennent y travailler, aidés par une équipe soudée et attentive.

En 1961, Les Ramié ouvrent une galerie Madoura à Cannes et en 1965 une galerie d’exposition au cœur de Vallauris. Au-delà du succès commercial autour de Picasso, l’œuvre de Suzanne peut y briller à la hauteur de son importance.
Même dans le marasme du pot-pourri commercial de Vallauris de la deuxième partie des années 1960 où les marchands du temple opacifient avec leurs pacotilles et autres ersatz la réelle visibilité des vrais artistes locaux, Suzanne Ramié tient le cap qu’elle s’est imaginé pour révéler « l’essence cosmique de la matière ».

Son travail demeure marquant par sa justesse, son équilibre entre formes et coloris, son caractère sculptural sans égal.
À sa manière toute singulière, Suzanne Ramié répond à la remise en jeu picassienne du rapport forme/surface. Avec elle, la forme trouve la force de sa substance, de son corps si bien pesé où le contour se laisse oublier pour dévoiler un volume subtilement imaginé. La couleur vient dans la même impulsion magnifier la forme, l’interroger et la signifier. L’être contenu dans la forme semble s’ouvrir à la conscience du monde.

Il est dur de dire l’épaisseur d’une telle simplicité tant elle procède du génie, l’économie du résultat laissant peu d’outils matériels au néophyte pour saisir l’intense densité du chemin qui guide l’œuvre. Pierre Staudenmeyer dans son ouvrage La Céramique française des années 1950 l’exprime ainsi « son œuvre est marquée par une double recherche : celle de la lisibilité des volumes d’une part et celle de l’émaillage, conçu comme un révélateur de la forme d’autre part. »

Suzanne Ramié est importante car elle participe a rendre inopérante la scission entre sculpture et objet, parce qu’elle a laissé le simple exprimer la richesse de l’être, parce qu’elle a nourri sa pratique du sentiment juste d’une beauté quotidienne.

Les pièces de Suzanne Ramié sont éthérées; l’œil peut difficilement en maintenir les contours. Le mat absorbe la lumière et la retient sur sa surface comme un effleurement. Le brillant, étincelant, absorbe l’espace et réfléchit la lumière. Avec la terre comme support, l’artiste rejoint Gaston Bachelard pour qui « le corps de l’oiseau est fait de l’air qui l’entoure, sa vie est faite du mouvement qui l’emporte »…

D’aucuns voient dans cette perfection formelle un étendard moderniste, mais ce qui est peut-être patent au sens d’une volonté de rénovation du regard ne doit pas aveugler. Si les pièces de Suzanne Ramié font disparaître les traces du travail manuel ce n’est point pour ressembler à la froide et finie perfection industrielle, mais pour focaliser les sens, mettre en évidence la continuité des lignes, souligner les courbes et l’équilibre d’un dessin. C’est pour quitter le terrain parfois alourdi du fait-main où l’égo est censeur et la figure de l’artiste un frein à lire l’œuvre en vérité.
Reste que cette innovation n’est pas l’apanage du modernisme même s’il lui sert souvent d’alibi.

On l’oublie trop mais Suzanne Ramié est aussi une coloriste incroyable. Dans les années 1960 et 70 son œuvre évolue vers des pièces sculpturales et géométriques.
L’artiste se déleste des mécanismes du motif anthropomorphe et zoomorphe. La couleur est son alliée : la vigueur des teintes intenses ou diaphanes se conjugue à la délicatesse des aplats et mélanges. Elle utilise parfois en aplat des teintes crues et denses comme son bleu proche du bleu Klein, son rouge vif, son jaune d’urane ou son blanc crémeux.
En d’autres circonstances, elle se joue des demi-teintes et appellent la sublimation du volume par le miroitement des abricots, des beiges, des verts-d’eau, des bruns, des bleus ciels disposés en glacis rappelant le meilleurs des cuissons de haute température.
A l’instar de ses contemporains nordistes Stig Lindberg, Gunnar Nylund, Berndt Friberg ou Carl-Harry Stålhane, elle réinvente sur le terrain de la faïence des effets de fourrure de lièvre, des nuagés subtils à faire vibrer d’admiration les amateurs des poteries Songs.
Suzanne Ramié leur le 12 juin 1974.

L’activité de l’atelier a perduré jusqu’en décembre 1997 (la fabrication concernait uniquement les pièces « Madoura », celle des éditions « Picasso » ayant cessé depuis un certain temps déjà).
L’activité « Galerie » a cessé en 2007, la poterie ferme ses portes au même moment.

Aujourd’hui, l’atelier a été racheté par la C.A.S.A. (Communauté d’agglomération de Sophia-Antipolis). Sa gestion est assumée par la ville de Vallauris. Il s’agit dorénavant d’un lieu « d’art, d’histoire et de création ».

Sources : Galerie Stimmung et Wikipédia

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